3.5.  Cristallisation des couches déposées amorphes par SPC

Cette section aborde l’étude de la cristallisation des couches déposées amorphes par la méthode SPC (voir page  32). La cristallisation est suivie par la mesure in situ de la conduction de la couche comme expliqué en détail dans l’annexe  A.2. Nous essayerons d’abord d’interpréter l’évolution du courant électrique à travers la couche, pour ensuite évaluer l’influence des conditions de dépôt sur la cristallisation.

3.5.1.  Interprétation de la conductivité pendant le recuit

Une allure caractéristique de l’évolution en fonction du temps du courant à tension constante pendant le recuit isotherme, est donnée sur la figure  3.7.
PIC
FIG. 3.7: Courbe typique de l’évolution de la conductivité pendant la cristallisation. La mesure expérimentale peut être approximée par les trois droites tracées en rouge définissant les temps caractéristiques tn et tf.

Au début la conductivité augmente légèrement ou reste pratiquement constante jusqu’à t = tn, puis elle augmente et atteint sa valeur maximale à t = tf. Ce comportement peut s’expliquer de la façon suivante. La cristallisation commence à l’interface entre le substrat et la couche, comme cela a été déjà montré pour des couches déposées par LPCVD en se servant d’images de microscopie électronique à transmission [89]. Au début, dès l’apparition des premiers germes à l’interface et leur croissance supposée hémisphérique, le courant augmente seulement légèrement jusqu’à leur coalescence, qui donnera lieu à une couche continue polycristalline. Ce moment est considéré comme équivalent à tn. À partir de là, ces grains vont continuer à croître vers la surface d’une manière collonnaire, et le courant monte plus rapidement jusqu’à t = tf. Une bonne corrélation entre la fraction cristalline et l’allure du courant a été d’ailleurs démontré par King KIS-SION [61] toujours pour du silicium déposé par LPCVD en suivant également la cristallisation par des mesures de diffraction de rayons X in situ.

Avec cette image simplifiée de la croissance des grains, c’est-à-dire une croissance unidirectionnelle de l’interface vers la surface, on peut établir la relation linéaire  A.2 (page  282) entre le taux cristallin et la conductivité. Pour cette raison, la courbe est approchée par trois droites (tracées en rouge dans la figure  3.7) permettant de trouver aisément les paramètres tn et tf.

La vitesse de croissance des grains devient donc

        d
Vc = -------
     tf-  tn
(3.5)

avec l’épaisseur de la couche d. Le « temps de nucléation » tn est un paramètre, qui est inversement proportionnel au taux de nucléation, puisque la coalescence des cristallites est d’autant plus retardée, que leur densité est faible.

Pour confirmer l’hypothèse, que nos couches cristallisent dans ce mode bidimensionnel, des mesures de spectroscopie RAMAN9 ont été effectuées sur quelques échantillons partiellement cristallisés. C’est-à-dire que le recuit a été arrêté entre tn et tf. Ces échantillons ont été éclairés successivement par deux faisceaux LASER de longueur d’onde différente sur la face avant et sur la face arrière, c’est-à-dire à travers le verre. Puisque la pénétration de la lumière est moindre à plus haute fréquence, on peut sonder des volumes différents avec les deux faisceaux LASER. Ceci est illustré par les valeurs de profondeur de pénétration x dans le tableau  3.4 :


TAB. 3.4: Profondeur de pénétration x en µm pour laquelle 63 % de l’intensité de la lumière est absorbée.

  c
silicium amorphe
silicium cristallin
 
  514,5 nm 0,1 0,9  
  457,9 nm 0,033 0,4  
 

à la longueur d’onde c = 514,5 nm (LASER vert), x est deux à trois fois plus élevé qu’à c = 457,9 nm (LASER violet). La figure  3.8
PIC
FIG. 3.8: Quatre spectres de l’intensité RAMAN en fonction du déplacement RAMAN : les deux courbes au dessus sont mesurées sur la face avant et les deux au dessous sur la face arrière avec respectivement un faisceau LASER vert (c = 514,5 nm) et violet (c = 457,9 nm).

montre les spectre RAMAN pour ces quatre cas de mesures sur un échantillon d’une épaisseur de 2,5 µm, recuit à 570  : en éclairant par la face avant on ne détecte quasiment aucun pic à environ 521 cm-1 —caractéristique de la phase cristalline du silicium—, par contre la bosse autour de 480 cm-1 —caractéristique pour la phase amorphe— est bien visible. Quand la couche est éclairée par la face arrière, le pic cristallin est observé. Il est plus intense par rapport au pic amorphe, avec le LASER violet. Cette asymétrie conforte notre hypothèse d’une nucléation à l’interface. Il est évident, que le mode de cristallisation dépend de la température de recuit. Pour cette raison, cette expérience a été refaite avec des recuits à 600 et 630  : le résultat reste le même !

3.5.2.  Influence des paramètres de dépôt sur la vitesse de croissance des grains

Nous avons effectué des suivis de conductance pendant le recuit pour plusieurs séries d’échantillons, afin de mettre en évidence un éventuel impact de la température ou de la pression de dépôt sur la vitesse de croissance des grains V c. Celle-ci a toujours été déterminée selon l’équation  3.5. Sur la figure  3.9

PIC PIC

FIG. 3.9: Variation de la vitesse de cristallisation V c en fonction de la température de dépôt pour trois températures de recuit Tc différentes : 570, 600 et 630 . La pression de dépôt pour le graphe sur la gauche était 50 mbar et 400 mbar pour celui de droite.

sont représentées les valeurs V c en fonction de la température de dépôt, pour une pression totale de 50 mbar (figure  3.9a) et pour une pression plus élevé P = 400 mbar (figure  3.9b).

On remarque, que V c augmente avec Td pour une basse pression de dépôt, ce qui n’est plus le cas pour une pression plus élevée P = 400 mbarV c atteint un maximum à Td = 560  pour ensuite rediminuer.

En traçant V c en fonction de la pression totale de dépôt P, comme le montre la figure  3.10


PIC PIC

FIG. 3.10: Variation de la vitesse de cristallisation V c en fonction de la pression totale de dépôt pour trois températures de recuit Tc différentes : 570, 600 et 630 . La température de dépôt pour le graphe de gauche est 540  et 620  pour celui de droite.

pour Td = 540  (a) et Td = 620  (b), on remarque un comportement similaire que l’on peut résumer ainsi : V c augmente en général avec la pression P, jusqu’à une valeur maximale, qui dépend de la température de recuit Tc, pour ensuite rediminuer.

Par ailleurs, selon [59], V c est activé thermiquement et suit l’équation

             (      )
V =  V  .exp   --Ea-   ,
 c    c0        kT
(3.6)

Ea dépend de la densité de défauts structuraux dans le silicium amorphe : plus ces derniers sont nombreux, plus l’énergie d’activation est élevée. V c0 dépend du coefficient de capture des liaisons pendantes et augmente avec la concentration de liaisons pendantes chargées.

Lorsque V c pour un jeu de paramètres de dépôt fixe, suit une telle allure exponentielle,10 on peut déduire l’énergie d’activation de la cristallisation pour nos couches : elle varie entre 2,3 eV et 3,1 eV. Dans la littérature on trouve des valeurs similaires variant de 2,4 eV [61, 139] à 2,7–2,9 eV [11, 73]. Ces différentes valeurs semblent correspondre à différentes micro-structures du silicium amorphe [61].

Grâce à la variation importante de l’épaisseur de nos couches un phénomène intéressant devenait visible : V c ne dépend pas seulement de la structure amorphe initiale, mais aussi de l’épaisseur de la couche, comme il est illustré par la figure  3.11.


PIC
FIG. 3.11: Variation de la vitesse de cristallisation V c en fonction de l’épaisseur d de la couche pour des conditions de dépôt diverses.

En effet, la cristallisation semble s’accélérer, puisque V c croit avec l’épaisseur. Ceci est probablement dû à des orientations de grains différentes. Il est connu en effet, que les vitesses de cristallisation dépendent fortement de l’orientation : la croissance la plus rapide se fait dans la direction (100). La croissance dans les directions (113), (110), (112) et (111) est respectivement 3/2, 3, 5 et 24 fois plus lente [120]. On considère en général deux phases de cristallisation : la croissance des germes à l’interface dans les trois dimensions jusqu’à leur coalescence, et puis une croissance collonnaire bidimensionnelle vers la surface [9, 61, 139]. En introduisant une troisième phase, comme schématisé dans la figure  3.12,
PIC
FIG. 3.12: Modèle de croissance de grains pendant le recuit par SPC : pendant une 1re phase les germes coalescent, la 2e phase consiste à une cristallisation approximativement perpendiculaire à la surface, tandis que les grains avec un V c plus élevé suppriment la croissance d’autres grains dans une 3e phase.

il est possible d’interpréter ce phénomène. Au début, les germes naissent à l’interface du silicium avec le verre, puis croissent pendant une première phase jusqu’à leur coalescence. Ce moment correspond à tn comme définit sur la page 109 (figure  3.7). Il n’existe aucune orientation préférentielle de ces grains, comme c’est également le cas dans la deuxième phase, où ils vont croître vers la surface. Cependant, pendant cette phase, les différentes vitesses de croissance selon les orientations cristallines entraînent une suppression de certains grains en faveur d’autres. Il s’en suit l’existence d’une troisième phase, où la vitesse de croissance est plus élevée qu’avant avec des grains d’une orientation prépondérante. Dans le but d’évaluer cette hypothèse, nous avons déterminé les facteurs d’orientation Ohkl par des mesures de diffraction X d’après la méthode décrite dans l’annexe  A.4.3, pour trois échantillons d’épaisseur 200 nm, 1450 nm et 4300 nm respectivement. Les résultats sont reportés sur la figure  3.13
PIC
FIG. 3.13: Facteurs d’orientation Ohkl des cinq raies les plus intenses pour trois échantillons d’épaisseurs différentes.

où l’on note, que tous les échantillons montrent une faible texture de direction (422) ; ce qui est aussi le cas pour les couches déposées par LPCVD [89]. On observe cependant un volume cristallin d’orientation (422) environ 5 % plus élevé pour l’échantillon de forte épaisseur, que pour celui de seulement 200 nm d’épaisseur. En même temps le volume correspondant à l’orientation (111) diminue fortement avec un d croissant. Un léger changement d’orientation prépondérante, qui peut étayer notre modèle, est donc visible. Il est clair, que les grains, qui entrent en jeu dans la troisième phase de la croissance, ont une orientation préférentielle par rapport à leur direction de croissance, mais pas forcement par rapport à la surface : les grains peuvent croître d’une manière diagonale.

D’après notre modèle, nous nous attendons également à une augmentation de la taille de grains avec la distance par rapport au substrat. Afin d’évaluer cette hypothèse, nous avons préparé deux échantillons du même dépôt d’épaisseurs différentes11 avec la solution de SECCO [111], qui consiste en du bichromate de potassium (KCr2O7) dilué dans l’eau avec de l’HF et qui attaque en priorité le silicium amorphe, donc les joints de grains. Après un dépôt très mince (50 Å) d’aluminium par évaporation thermique, les surfaces de ces échantillons ont été visualisées en utilisant le MEB12 du GMV. Les photos obtenues sont présentées sur la figure  3.14 :


   ------                            ------
(a)       1µm                     (b)       1µm

FIG. 3.14: Photos obtenues par MEB, visualisant la surface d’un échantillon aminci à 200 nm (a) et celle d’un autre d’épaisseur de 2 µm (b).

les structures visualisées ont des dimensions nettement plus grandes pour la couche d’épaisseur de 2 µm, que celles de la couche amincie.

Nous avons également observé une conductivité électrique variant en fonction de l’épaisseur. La figure  3.15


PIC
FIG. 3.15: Conductivité électrique s d’une couche de Si-poly en fonction de son épaisseur d.

présente cette variation. Les valeurs sont obtenues par une série de gravures sèches à l’aide d’un plasma de SF6 de la même couche afin de l’amincir et des mesures d’épaisseur par TALYSTEP et de conductivité par la méthode de quatre pointes13 entre deux gravure consécutives. La plus faible conductivité pour la couche amincie jusqu’à 560 nm peut être expliquée par une plus mauvaise qualité cristalline proche de l’interface. Néanmoins, nous ne pouvons pas exclure un effet du plasma même, qui peut dégrader la conductivité proche de la surface en l’amorphisant.

3.5.3.  Influence des paramètres de dépôt sur la vitesse de nucléation

D’après notre modèle de cristallisation bidimensionnelle, l’épaisseur des couches et son inhomogénéité ne devraient pas affecter le temps de nucléation tn ; ce qui est confirmé par l’absence de variation de tn en fonction de d. Par contre, on observe une variation selon les conditions de dépôt, comme le montre la figure  3.16,

PIC PIC

FIG. 3.16: Temps de nucléation tn pour plusieurs conditions de dépôt différentes en fonction de la température de cristallisation Tc. À gauche P = 100 mbar et à droite Td = 600 .

tn est tracé en fonction de b = 1/kTc en échelle semi-logarithmique. On constate, que le temps de nucléation est thermiquement activé avec des énergies d’activation résumées dans le tableau  3.5.
TAB. 3.5: Énergies d’activation du temps de nucléation pour toutes les conditions de dépôt en électronvolt.

P (mbar) 25 50 100 200 400 600
Td = 540  3,4 3,2 2,8 3,1
560  3,6 3,0 3,1 3,1 3,2
580  3,1 3,1 2,9 3,1 3,1
600  2,8 2,9 3,1 2,9 3,6
620  2,6 2,6 2,5

Plusieurs points peuvent être notés :

En considérant les résultats obtenus en section  3.4, nous pouvons interpréter un temps de nucléation plus élevé en terme d’un contenu en hydrogène plus important. En effet, pour la formation de germes, l’hydrogène doit exodiffuser, ce qui retarde la nucléation. Néanmoins, il est également possible que la structure du matériau amorphe soit plus irrégulière à haute vitesse et basse température de dépôt demandant ainsi un temps de germination plus longue. Cette dernière explication a été donnée aussi par HATALIS et GREVE [47].